Sorte de Panthéon végétal minuscule, le cadre en bois de la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras rassemble huit spécimens qui constituent autant de souvenirs de Jean-Jacques Rousseau et... de Napoléon Bonaparte ! Cependant, et contrairement à ce que croyaient ses anciens possesseurs, la petite collection ne contient aucun spécimen récolté par Rousseau, mais des échantillons de Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet et de Madeleine-Catherine Delessert que le philosophe a conservés dans son dernier herbier.
La collection
Dans un grand cadre en bois, les huit spécimens réunis sous verre et destinés à être exposés au mur sont décrits par deux étiquettes en guise de cartels. Dans le coin inférieur gauche, le cadre présente un brin de saule prélevé à proximité du tombeau de Napoléon Bonaparte, à Sainte-Hélène. Dans le reste du cadre sont rassemblées des feuilles de l'herbier de Jean-Jacques Rousseau. Certains papiers ont été découpés pour permettre d'intégrer l'ensemble. Quoi qu'en dise l'étiquette, les échantillons concernés n'ont pas été récoltés par Rousseau lui-même. Trois spécimens proviennent en réalité de l'herbier de Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778) dont Rousseau acquiert une partie des collections peu avant de mourir : la comparaison des écritures permet de l'affirmer. Quatre autres spécimens proviennent de Madeleine-Catherine Delessert (1747-1816) qui les a envoyés à Rousseau en 1774, en guise d'exercice de détermination, dans le contexte pédagogique des Lettres sur la botanique que Rousseau lui adresse : voir la présentation de la Scabiosa arvensis.
La petite collection de Carpentras mérite d'être mise en relation avec les autres fragments qui nous sont parvenus du dernier herbier de Rousseau. En particulier, nous trouvons d'autres spécimens issus de Madame Delessert dans l'herbier de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel. En tant qu'elle forme un témoignage matériel du culte des grands hommes, la collection de Carpentras évoque par ailleurs celles de la Bibliothèque de Genève (dans un album de souvenirs), du Musée Jacquemart-André à Fontaine-Chaalis (dont les spécimens sont aussi encadrés) et du fragment de la collection du marquis de Girardin au Musée Jean-Jacques Rousseau de Montmorency. Toutes ces collections révèlent les manipulations du dernier herbier de Rousseau que s'est permises la famille de Girardin après la mort du philosophe dans leur château, à Ermenonville, en 1778. Les Girardin n'hésitent pas à offrir, au XIXe siècle, des spécimens choisis à diverses personnes.
Au dos du cadre apparaissent plusieurs notes manuscrites qui portent sur la collection et ses possesseurs successifs (voir ci-après).
Histoire
L'histoire de la collection est entièrement déductible des annotations rassemblées au dos du cadre (voir notre transcription), moyennant quelques précisions et quelques corrections. Une première note provient d'Aglaure Garrigues (1795-1832) et indique que les plantes sont issues de l'herbier de Rousseau, attestant (à tort) qu'on y trouve son écriture. Cette femme est liée à la famille de Girardin, étant la fille que Marie-Françoise Serres (1775-1855) a eue d'un premier lit, avant de se remarier avec Louis-Stanislas de Girardin (1762-1827), lui-même fils du dernier hôte de Rousseau le marquis René-Louis de Girardin (1735-1808).
En 1813, Aglaure épouse quant à elle Louis-Auguste Barbet de Jouy (1791-1872), receveur général de l'Hérault entre 1823 et 1838. Après la mort de sa femme, Barbet de Jouy donne la petite collection à l'artiste Jean-Joseph-Bonaventure Laurens (1801-1890) qui le précise dans une deuxième note datée de Montpellier, en 1834.
Beaucoup plus tard, en mai 1895, un certain Viguier compose une troisième note plus développée. Petit-fils de Laurens, il a hérité de la collection. Il en rappelle l'histoire et la décrit, transcrivant notamment la contremarque d'un papier. Il précise également comment il a restauré un des spécimens et donne même des indications pour protéger les plantes séchées, au cas où elles seraient attaquées par des insectes. Enfin, il propose sa propre interprétation du document et des activités botaniques de Rousseau, s'appuyant sur un article récent de Paul Jaccard relatif à l'herbier offert par Rousseau à Madeleine-Catherine Delessert (Jaccard 1894, voir notre bibliographie). Viguier évoque aussi le fragment du saule du tombeau de Napoléon, rapporté de Sainte-Hélène par un médecin de marine de Montpellier qui a connu l'empereur, sans préciser l'époque du voyage.
Nous ignorons à quelle date le cadre entre à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, mais c'est dans cette institution que Maurice Hocquette l'a vu, avant de le décrire brièvement aux membres de la Société botanique du Nord de la France en 1963 (voir Hocquette 1963, p. 19).
Botanique
Cette composition florale comprend huit espèces différentes de plantes à fleurs. Certains échantillons sont attribuables à Fusée-Aublet comme les Cerinthe minor et Lycopsis sp. de la famille des Boraginacées, et le Triodanis perfoliata (famille des Campanulacées) qui est originaire des Amériques. Les autres spécimens sont issus de Madame Delessert.
Numérisation et données
À notre demande, la collection est photographiée en septembre 2022 par l'entreprise Chaline Photo Vidéo – Camara pour la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras. Pour éviter d'abîmer les plantes, le cadre n'a pas été retiré à cette occasion.
Nous avons saisi toutes les données relatives au contenant, aux supports, aux spécimens et aux annotations.