La collection du Musée Jacquemart-André au domaine de Chaalis offre un excellent aperçu des interventions de la famille de Girardin, après la mort de Jean-Jacques Rousseau, pour isoler des échantillons de son herbier, les mettre en scène et les convertir en souvenirs du grand homme. En effet, cette collection est entièrement composée de spécimens placés sous verre et destinés à être suspendus au mur.
La collection
De différents formats, douze cadres en bois et un cadre en laiton renferment un ou plusieurs spécimens issus des herbiers de Rousseau. Les cadres les plus anciens datent du XIXe siècle. Sous verre, la famille de Girardin a mis en scène les spécimens de Rousseau dans la perspective de composer des tableaux agréables à l'oeil. Aucune logique d'ordre botanique ne préside à ces compositions.
Les dos des cadres sont riches en informations. Sur un papier bleu ou marbré, on y découvre toutes sortes d'étiquettes. En général, une ou plusieurs étiquettes proviennent de la famille de Girardin. Elles présentent les armes de la famille ou l'indication de propriété « A Saa Girardin », telle qu'on la trouve aussi sur les boîtes de l'herbier de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel. Au XIXe siècle, les deux collections étaient donc rassemblées chez les Girardin et elles ont subi des manipulations à la même époque. Cependant, les étiquettes de la collection de Fontaine-Chaalis contiennent également des informations ultérieures, parmi lesquelles différents numéros d'inventaires, les coordonnées de plusieurs transporteurs qui ont déplacé les cadres au XXe siècle et les dates d'une exposition organisée en 1977 par le Secrétariat d'État à la culture. On y découvre enfin une annotation du marquis Fernand de Girardin (1857-1924) et une autre qui provient manifestement d'Émile de Girardin (1802-1881) (voir le contenant no VI). Le marquis estime toutefois que cette annotation-ci a été faite par son grand-père le marquis Ernest-Stanislas de Girardin (1801-1874), attribution qui semble démentie par la comparaison de l'écriture avec d'autres lettres autographes d'Émile.
Aux treize cadres anciens s'ajoute un cadre moderne, fruit d'une acquisition récente ; il porte lui aussi une note que nous attribuons à Émile de Girardin (voir ci-dessous, la section « Histoire »). Les quatorze cadres contiennent au total quarante-quatre plantes fixées de différentes manières. Sur le papier de fixation ou sur des étiquettes, nous trouvons une quinzaine d'annotations attribuables, soit à Rousseau, soit à Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778). Ce mélange est typique des fragments du dernier herbier de Rousseau ; il concerne aussi les grandes collections de Neuchâtel, Paris et Berlin. Un autre ensemble de spécimens ayant appartenu aux Girardin et présenté sous verre est aujourd'hui conservé à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras.
Pour avoir un aperçu de l'ensemble des annotations et étiquettes que contient chaque cadre, il convient sur le présent site de naviguer entre le spécimen, le support et le contenant.
Histoire
Les spécimens encadrés proviennent manifestement tous de l'herbier que Rousseau laisse à sa mort en 1778, à Ermenonville, chez le marquis René-Louis de Girardin (1735-1808). Encadrés à une date inconnue, ils appartiennent toujours à la famille de Girardin au début du XXe siècle, comme le signale Fernand de Girardin dans son ouvrage sur l'Iconographie de Jean-Jacques Rousseau où il évoque des « Feuilles » encadrées « de l'herbier de Jean-Jacques Rousseau » au sein de la « Collection du Marquis de Girardin » (Girardin 1908, p. 291). Le passage concerné de l'ouvrage est d'ailleurs découpé et collé au dos d'un cadre (voir le support no 3558).
Outre ces feuilles d'herbier, la collection du marquis de Girardin comprend des reliques de Rousseau, des livres, des manuscrits et des documents de différentes nature. Elle est transportée à l'abbaye de Chaalis en 1923, peu avant la mort de Fernand de Girardin. Celui-ci a reçu des offres de Genève et d'Amérique, mais l'Institut de France vient d'hériter du domaine de Chaalis à proximité d'Ermenonville et cette perspective séduit Girardin. Alors président de la République, Alexandre Millerand (1859-1943) lui-même intervient pour encourager la transaction, ainsi que le diplomate Gabriel Hanotaux (1853-1944) (Gillet 1925). La « collection d'objets et de souvenirs installée au musée Jacquemart-André, à Chaalis » (Doumic 1925, p. 1a) ouvre au public le 3 septembre 1925. On peut y admirer les treize cadres. Ceux-ci sont par la suite conservés dans un carton, comme nous l'apprend en 1969 Bernard Gagnebin dans l'édition des écrits botaniques de Rousseau à la Bibliothèque de la Pléiade (Rousseau 1969, p. 1891-1892).
D'après les étiquettes collées au dos des cadres (voir ci-dessus, la section « La collection ») , un échantillon est montré à Paris du 18 mai au 11 septembre 1977, à l'occasion d'une exposition sur les jardins en France entre 1760 et 1820. À une date incertaine, mais plus tardive, un autre échantillon est présenté à une « Exposition Malesherbes ». Au début du XXIe siècle, certains cadres sont exposés dans l'espace du Musée Jacquemart-André dédié à Rousseau et à la collection du marquis de Girardin.
En 2019, Jean-Marc Vasseur fait acheter par l'Institut de France un nouvel chantillon d'herbier de Rousseau pour l'abbaye de Chaalis. Cet échantillon contient une note datée de février 1844 (lecture incertaine), qui semble de la main d'Émile de Girardin. Nous y apprenons qu'Ernest-Stanislas de Girardin a offert la plante concernée à son ami Jean Lavallée (1805-1879).
Botanique
L’intérêt de cette collection tient à la provenance des plantes qui la compose : la plupart sont issues, soit d’herbiers constitués par Rousseau, soit des différents herbiers de Fusée-Aublet. Ainsi, la majorité des échantillons comportent des annotations de la main de Rousseau et de Fusée-Aublet. Des éléments supplémentaires confirment en outre l’origine de ces échantillons : la Verge d’or (Solidago virgaurea) est fixée avec ces bandelettes dorées dont Rousseau avait l’habitude. La Sétaire (Setaria sp.) et le Panic (Panicum miliaceum) comportent respectivement les localités de récolte de Santo Domingo et de Guyane où Fusée-Aublet a voyagé. Des liens évidents peuvent être tissés avec certains échantillons de l'herbier de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel et d’autres collections. Ces cadres de formes et tailles différentes avec leurs plantes agencées de manière artistique ont très probablement été constitués par un(e) proche de la famille Girardin dans une perspective de sacralisation du philosophe botaniste après son décès.
Numérisation et données
Les cadres ont été photographiés par nos soins à l'abbaye de Fontaine-Chaalis en octobre 2022, avec la coopération du Musée Jacquemart-André.
Nous avons saisi toutes les données relatives aux contenants, supports, spécimens et annotations, y compris les textes des étiquettes imprimées.