Composé entre 1773 et 1774, l’herbier du Musée Jean-Jacques Rousseau – Montmorency constitue un cadeau. Rousseau l’adresse à Madeleine-Catherine Delessert et à sa jeune fille Madelon, destinataires des Lettres sur la botanique. Outil pédagogique et œuvre particulièrement soignée du point de vue de sa confection, longtemps conservé parmi les descendants de la famille Delessert, l'herbier rassemble aujourd’hui 167 plantes communes ; il constitue une des rares collections achevés de Rousseau qui soient parvenues jusqu’à nous.
La collection
Pour favoriser la conservation des plantes, Rousseau a réparti les 167 spécimens en deux liasses protégées par des cartons. Sur un carton de la première liasse, l’auteur a donné un titre à son œuvre : « Herbier / pour Mademoiselle De Lessert ». Sur un carton de la seconde liasse, il l’a signée : « J. J. R. ». Au XIXe siècle, la famille Delessert a disposé les deux ensembles de plantes dans une boîte en acajou fermant à clef, avec un encadrement de cuivre sur le couvercle. Ce couvercle porte les inscriptions « Herbier de J.J. Rousseau » et « Fait pour Melle De Lessert en 1773 ».
Les plantes sont conservées dans des chemises. Au premier recto, une annotation de Rousseau comprend en général le binôme linnéen de la plante, son nom vernaculaire et celui de la famille à laquelle appartient le genre. Cette dernière indication, absente des autres herbiers de Rousseau, permet un dialogue entre la collection et les Lettres sur la botanique où l’auteur s’appuie sur la notion de famille de plantes pour initier ses élèves à la botanique. À ce titre, l’herbier forme un témoignage matériel de l’intérêt que porte Rousseau à la méthode naturelle de classification (Drouin 2003, p. 82-85 ; Cook 2012, p. 198-199). Parfois, sous le nom de la plante, Rousseau laisse un commentaire en français relatif l’espèce concernée ou à l’état de conservation du spécimen (notamment lorsque la fleur a perdu sa couleur d’origine). À l’intérieur des liasses, les plantes sont classées par ordre alphabétique du nom latin. Rousseau les fixe généralement au moyen de languettes de papier dorées au second recto de la chemise. Les échantillons sont artistement disposés sur le papier et encadrés d’un double filet à l’encre rouge.
L’herbier est accompagné de trois manuscrits. De la main de Rousseau, un cahier porte le titre « Noms Latins des Plantes » et le titre intérieur « Petit Herbier pour Mademoiselle De Lessert. Catalogue Alphabetique des Plantes » (Ms 2001-11-1-172). Ce document recense 168 plantes, permettant de constater qu’une plante manque aujourd’hui dans l’herbier : la Circaea lutetiana (voir l’éd. par Kobayashi des Écrits botaniques de Rousseau, 2012, p. 205). Le Musée de Montmorency a également acquis deux autres documents allographes : une « Table Alphabétique des Familles, auxquelles Monsieur Rousseau a rapporté les Plantes de l’Herbier de Mademoiselle de Lessert » (Ms 2001-11-1-173) et une « Table des Termes » ou, d’après le titre intérieur, « Table de quelques termes usités en Botanique, avec leurs renvois aux figures » (Ms 2001- 11-1-174) qui contient deux planches gravées et coloriées. Notons par ailleurs que la Bibliothèque de l’Institut de France conserve à Paris un document « Noms François des Plantes » ou, d’après le titre intérieur, « Table Alphabéltique des Noms François, que M: Rousseau a joints aux noms Latins des Plantes de l’Herbier de Mlle de Lessert » (Ms 2458, XLVIII, f. 527-534). Ce document-ci provient manifestement de la même main que la « Table Alphabétique des Familles » de Montmorency.
Le Musée Jean-Jacques Rousseau possède en outre trois échantillons liés à Rousseau, mais sans rapport avec l’herbier Delessert : voir l’herbier dit de Jean-Jacques Rousseau (Montmorency, Girardin).
Histoire
Entre 1771 et 1772, Rousseau réalise d’abord un herbier pour Julie Boy de La Tour (1751-1826), sœur cadette de Madeleine-Catherine Delessert (1747-1816) : voir l’herbier de la Bibliothèque centrale de Zurich. De facture semblable, l’herbier de Montmorency s’inscrit dans un contexte sensiblement différent, puisque Rousseau le compose en marge des Lettres sur la botanique qu’il entreprend à l’intention de Madeleine-Catherine pour l’initiation de Madeleine « Madelon » Delessert (1767-1838), sa fille de quatre ans. Si cet échange commence le 22 août 1771 (CC 6883), Rousseau n’envisage pas tout de suite de réaliser un herbier pour son amie, préférant contribuer à l’éducation botanique de Madelon qui composera son propre herbier en grandissant (CC 6938). L’herbier qu’il finira par envoyer le 28 mai 1774 est destiné à Madelon (CC 7038). Volontairement incomplet, cet « échantillon » est conçu pour être augmenté au fil du temps par Madeleine-Catherine et ses enfants.
Loin de compléter ou de remanier cette collection, les descendants de Madeleine-Catherine Delessert la conservent pendant deux siècles dans l’état où Rousseau l’a transmise. Elle émerveille des invités de marque comme le botaniste James Edward Smith qui la consulte en 1787 (Smith 1793, t. 1, p. 111). Avant 1892, l’herbier appartient à la baronne Anne-Caroline-Madeleine Bartholdi (1831-1910), petite-fille de Madelon, qui le conserve « religieusement » (L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 mai 1892, col. 461). Après la mort de la baronne, l’herbier est légué au baron Rodolphe Hottinguer (1835-1920), lui-même arrière-petit-fils de Madeleine-Catherine (Raymond 1913). C’est toujours au sein de la famille Hottinguer que François Matthey (1980, 1982) et Henri Cheyron (1981) consultent l’herbier au début des années 1980. Avec l’original autographe des Lettres sur la botanique et les autres manuscrits susmentionnés, la Ville de Montmorency acquiert finalement l’herbier le 16 octobre 2001, à Paris, auprès de la maison de ventes aux enchères Tajan.
Botanique
Cet herbier, qui se compose uniquement de plantes à fleurs (Angiospermes), compte 167 espèces différentes appartenant à 43 familles selon la classification actuelle. Les parts d’herbier ne sont pas classées d'après Linné, mais elles comportent chacune le nom scientifique en latin, le nom vernaculaire ainsi que la famille à laquelle le spécimen appartient. Les familles les plus représentées sont les Lamiacées (18 spécimens), les Fabacées (17 spécimens) et les Astéracées (14 spécimens). Les plantes à port graminoïde (Poacées, Cyperacées, Juncacées) sont relativement peu présentes. Certaines espèces sont des plantes ornementales comme le Gomphrena globosa (famille des Amaranthacées) que Rousseau nomme « Immortelle rouge » et qui est originaire d’Amérique centrale. Une autre, la Boltonie faux aster (Boltonia asteroides, famille des Asteracées) est originaire d’Amérique du Nord. D’autres espèces sont représentatives de différents habitats comme la Naïade marine (Najas marina, famille des Hydrocharitacées) ou le Butome en ombelle (Butomus umbellatus, famille des Butomacées) pour les milieux aquatiques, la Stellaire holostée (Stellaria holostea, famille des Caryophillacées) pour les forêts claires ou encore la Gentiane des marais (Gentiana pneumonanthe, famille des Gentianacées) pour les prés humides. Certaines présentent des distributions relativement restreintes comme l’Orcanette des teinturiers (Alkanna matthioli, famille des Boraginacées), une petite espèce des sables du Midi dont la racine contient un principe colorant rose et qui a disparu de nos jours de la vallée du Rhône. La plupart des autres spécimens sont des espèces relativement communes, que ce soit en France ou en Suisse.
Numérisation et données
À l’initiative du Musée Jean-Jacques Rousseau de Montmorency, l’herbier est numérisé en 2011 par Laurent Juillard. Par la suite, le Musée rend disponible cette numérisation à l’adresse suivante : https://www.calameo.com/books/001050409725115a79bd9 (consulté le 12 août 2023).
Sur le présent site, nous avons saisi toutes les données relatives aux contenants, supports, spécimens et annotations, à l’exception des trois manuscrits évoqués plus haut, qui n’ont pas été transcrits.