Combien de lecteurs de Rousseau ont cherché la fameuse pervenche des Confessions, plante que le philosophe découvre au cours d'une herborisation en Suisse et qui lui rappelle ses années heureuses auprès de Madame de Warens ? Au livre VI, Rousseau écrit :
« En marchant, [Madame de Warens] vit quelque chose de bleu dans la haie, et me dit: “voilà de la pervenche encore en fleur.” Je n'avais jamais vu de la pervenche, je ne me baissai pas pour l'examiner, et j'ai la vue trop courte pour distinguer à terre les plantes de ma hauteur. Je jetai seulement en passant un coup d'œil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j'aie revu de la pervenche, ou que j'y aie fait attention. En 1764, étant à Cressier, avec mon ami M. du Peyrou, nous montions une petite montagne [. . .]. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie: Ah ! voilà de la pervenche ! Et c'en était en effet. »
Le bibliophile Jean-Baptiste Tenant de La Tour (1779-1862) compte parmi les lecteurs du XIXe siècle marqués par ce récit. Ému, il estime avoir découvert la « véritable pervenche » (cité par Jaquier 2012, p. 102, voir la bibliographie) de Rousseau entre les pages d'un livre ayant appartenu au philosophe, sans qu'on puisse accorder beaucoup de crédit à cette information.
Quoi qu'il en soit, la petite fleur décapitée qui s'affiche ici n'est pas la pervenche des Confessions : l'herbier de Neuchâtel contient pour l'essentiel des plantes que Rousseau a récoltées ou reçues à la fin de sa vie. Peut-être est-ce même Jean-Babtiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778) qui l'a cueillie, sachant que de nombreux spécimens de cette collection lui sont attribuables et que le botaniste français a par ailleurs conservé une pervenche dans l'herbier déposé au Muséum national d'histoire naturelle de Paris. Mais cela importe peu : la pervenche de Rousseau est un objet littéraire, plutôt que naturel, qui a profité d'une extraordinaire réception auprès de la génération romantique (voir Jaquier 2012 et 2023).