Entre 1771 et 1772, Jean-Jacques Rousseau prépare avec grand soin un herbier qu’il destine à son amie Julie Boy de La Tour. Conservée à la Bibliothèque centrale de Zurich, cette collection de taille modeste (101 plantes communes) compte parmi les rares herbiers achevés de Rousseau qui soient parvenus jusqu’à nous. Selon toute vraisemblance, c’est le plus ancien dont nous disposons. Il se caractérise en outre par son arrivée précoce dans une institution publique en 1833.
La collection
À l’intérieur d’une boîte de conservation en carton, l’herbier de la Bibliothèque centrale de Zurich (Zentralbibliothek Zürich) se présente comme une liasse unique, enserrée entre deux cartons. Ces cartons sont attachés l’un à l’autre par des rubans bleus. Orné d’arabesques bleues, celui du dessus porte un titre : « Petit Herbier / pour Mademoiselle / Julie Boy-de-la-Tour ». Entre les cartons, les plantes se succèdent dans l’ordre du Species plantarum de Linné. Sauf exception, chaque plante est fixée au second recto d’une feuille pliée en deux, au moyen de bandelettes de papier doré. Le plus souvent, un double filet à l’encre rouge orne la page de fixation qui forme une composition agréable à l’œil. Rousseau accorde en outre un soin particulier aux petits spécimens qu’il dépose sur un rectangle de papier rouge, lui-même encadré de papier doré. Au premier recto des chemises, il numérote le spécimen et inscrit son binôme linnéen en haut à droite.
Le botaniste accompagne son envoi d’un catalogue manuscrit des « Noms des Plantes / contenues dans l’herbier ci-joint / et indiquées par leur numero correspondant ». On y trouve la liste des 101 plantes, désignées par leurs noms vernaculaires. À l’occasion, Rousseau y laisse des commentaires sur les espèces listées ou sur l’état de conservation des spécimens.
Par son petit format et son élégance, la collection compte très manifestement parmi les « jolis herbiers » auxquels pense l’auteur dans Rousseau juge de Jean-Jacques (Deuxième Dialogue), lorsqu’il se présente comme un peintre miniaturiste. Aussi l’herbier de Zurich semble-t-il avoir nourri sa réflexion sur l’opportunité de confectionner des herbiers portatifs pour les amateurs de botanique (Cook 2012, p. 290-294). Il mérite en premier lieu d’être mis en relation avec l’herbier de Montmorency composé pour la fille de Madeleine-Catherine Delessert (1747-1816), sœur aînée de Julie Boy de La Tour (1751-1826). Nous trouvons également des spécimens encadrés d’un trait rouge dans la collection de Neuchâtel, au Musée Carnavalet, à la Bibliothèque de botanique – cryptogamie du Museum et à la Bibliothèque de Genève.
Histoire
Julie est la fille de Julie-Anne-Marie Boy de La Tour (1715-1780) qui, dans le village de Môtiers, a offert un asile à Rousseau pendant son exil dans la Principauté de Neuchâtel (1762-1765). Après que Rousseau revient en France, Julie continue de l’aider depuis Lyon. Elle lui envoie notamment à Monquin du matériel pour déménager son herbier et elle recevra cet herbier en dépôt, avec les livres de Rousseau, tandis que le philosophe s’installe à Paris en 1770. En lui adressant un herbier, il rend donc hommage à une personne et à une famille qui lui apportent un soutien constant.
Dans une lettre à Anne-Marie, Rousseau mentionne pour la première fois « le petit herbier de ma tante » (CC 6730) – c’est ainsi qu’il surnomme Julie – le 7 juin 1770. Toutefois, il ne l’a toujours pas préparé en octobre 1771 (CC 6899) et ne le finira qu’en avril 1772 (CC 6932). Le 16 mai, il explique à Madeleine-Catherine que l’herbier destiné à sa sœur lui a été promis « lorsqu’elle herborisoit avec moi dans nos promenades à la Croix de Vague » (CC 6938), ou Vacques, à proximité de Lyon. L’herbier ne parvient à sa destinatrice qu’au mois d’août 1772, à en juger par une lettre de Rousseau (CC 6960). Dans l’intervalle, ce dernier se préoccupe beaucoup du destin de son petit mais précieux colis (Renggli 2012).
À la mort de l’amie de Rousseau, l’herbier est transmis à sa fille Julie Willading (1781-1858). En 1833, Julie et son époux Henri Fäsi (1787-1864) offrent la collection à la Bibliothèque de Zurich (Vögelin 1848 ; Dufour 1906 ; Schneebeli-Graf 1980 ; Matthey 1980 ; éd. par Kobayashi des Écrits botaniques de Rousseau 2012, p. 186). Le don comprend sept lettres de Rousseau à un autre membre de la famille, Daniel Roguin (1691-1771), fidèle ami du philosophe. Malgré cette arrivée précoce dans une bibliothèque publique, l’herbier est relativement peu étudié (Dufour 1906) avant d’être photographié, désinfecté et exposé en 1980 au Musée de l’habitat de Zurich (Schneebeli-Graf 1980, voir aussi Renggli 2013). Vingt ans plus tard, l’herbier est intégralement reproduit dans un ouvrage de Ruth Schneebeli-Graf (2003). Il est aujourd’hui conservé dans l’abri pour les biens culturels de la Bibliothèque centrale.
Botanique
Cette collection offre, en une centaine d’échantillons, une belle palette de la diversité des plantes avec 44 familles représentées (selon la classification actuelle). L'ayant essentiellement réalisé à partir d’espèces récoltées probablement au fil de ses voyages, Rouseau incorpore dans cet herbier plusieurs représentants de chacune des familles, ainsi que deux fougères (Ophioglossum vulgatum, Davallia canariensis), une prêle (Equisetum palustre) et une algue (Plocamium cartilagineum). Le souci du détail est porté à son paroxysme : Rousseau va même jusqu’à placer un individu femelle et un individu mâle du houblon (Humulus lupulus, famille de Canabacées), espèce dioïque chez laquelle les sexes sont séparés.
Les familles les plus représentées sont : les Caryophyllacées (10 espèces), les Astéracées (7 espèces) et les Lamiacées (6 espèces). L’herbier compte 5 espèces de la famille des Poacées, des Ranunculacées et des Rosacées.
Numérisation et données
L’herbier est numérisé par la Bibliothèque centrale de Zurich en 2014. Il est également consultable sur la plateforme « e-manuscripta.ch » à l’adresse suivante : https://www.e-manuscripta.ch/zuz/content/titleinfo/64647 (consulté le 13 août 2023).
Nous avons saisi toutes les données relatives aux contenants, supports, spécimens et annotations, y compris le manuscrit autographe des « Noms des plantes ». Ce manuscrit a été transcrit tout entier sous la rubrique des « supports » et les annotations relatives à chaque plante ont également été reportées dans la fiche du spécimen correspondant.