Les herbiers de Jean-Jacques Rousseau et de Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778) sont inextricables. Botaniste français ayant séjourné à l'île de France (Maurice) et en Guyane, Fusée-Aublet entre peut-être en contact avec Rousseau par l'intermédiaire d'un ami commun, Achille-Guillaume Le Bègue de Presle (1735-1807), qui est le médecin du philosophe, à moins que les deux hommes ne se fréquentent simplement à Paris, au Jardin du roi. Quoi qu'il en soit, leur relation reste mal documentée. Or nous trouvons dans les collections de Rousseau de nombreux spécimens récoltés par Fusée-Aublet qui s'entremêlent aux plantes récoltées par Rousseau pendant les dernières années de sa vie. Dans quelles circonstances et dans quel but une partie de l'herbier de Fusée-Aublet arrive-t-elle entre les mains de Rousseau ? Les deux spécimens de Veronica teucrium de la collection du Musée Carnavalet – Histoire de Paris nous fournissent des bribes d'informations.
Ces spécimens sont fixés par Rousseau avec beaucoup de soin au second recto d'un feuillet. Au premier recto, une annotation du philosophe commente les deux végétaux : « Parmi les plantes que M. Aublet m'a données, A portoit le nom de Veronica paniculata et B. celui de Veronica pannonica H. R. P. Elles me paroissent l'une et l'autre n'être que des varietés du Veronica Teucrium. » Ainsi, Rousseau n'hésite pas à corriger les identifications d'un botaniste chevronné. La note compte surtout parmi les rares mentions de Fusée-Aublet par Rousseau. Nous en trouvons une autre dans l'herbier de Neuchâtel et plusieurs dans l'herbier du Musée botanique de Berlin. Au sein de cette collection-ci, Rousseau commente également un spécimen de Veronica teucrium : « Donné par M. Aublet sous le nom de Veronica Pannonica. H. R. P. » De telles indications permettent d'affirmer que Fusée-Aublet a donné de son vivant des plantes à Rousseau, écartant l'hypothèse d'une vente ou d'un legs posthume. De surcroît, elles aident à comprendre l'usage que Rousseau a fait de la collection reçue. Comme l'a observé Pierre-Emmanuel DuPasquier, le philosophe ne se contente pas toujours de discuter les déterminations de Fusée-Aublet, mais il s'approprie les échantillons de celui-ci pour les monter sur un nouveau papier et pour les intégrer à ses propres collections.
En dernière analyse, de tels indices suggèrent que, après avoir vendu ses herbiers en 1775, Rousseau envisage vers 1777-1778 de reconstruire un herbier personnel sur la base de ses propres récoltes et de celles qu'il a obtenues auprès de Fusée-Aublet.