Malgré son nom, l’herbier dit « de Jean-Jacques Rousseau » du Muséum national d’histoire naturelle de Paris contient uniquement des spécimens récoltés ou rassemblés par Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet. Rousseau l’a toutefois eu entre les mains et il y a laissé quelques annotations. Classé d’après le système de Linné, cet herbier constitue la collection la plus volumineuse avec 1587 spécimens (et 2218 annotations recensées). Il contient des espèces exotiques, fruit des voyages de Fusée-Aublet et d’échanges avec d’autres botanistes, mais la majorité des récoltes sont d’origine européenne.
La collection
Quinze cartons-volumes, fabriqués au XIXe siècle et protégés par du cuir rouge, rassemblent les spécimens en fonction de leurs classes linnéennes. Le premier carton, par exemple, regroupe les Monandria, les Diandria et les Triandria. À l’intérieur des cartons, 494 chemises de couleur bleu-gris classent les spécimens par genres. Enfin, à l’intérieur des chemises, les plantes sont collées ou fixées sur des feuilles margées qui, pour la plupart, proviennent d’un ancien registre de notaire du XVIIIe siècle. On trouve en effet des annotations notariales (que nous n’avons pas transcrites) au verso de certains papiers.
Les annotations de Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778) apparaissent presque toujours sur des étiquettes rectangulaires, fixées en haut à gauche des feuilles qui servent de supports aux spécimens. Le botaniste français y indique typiquement la classe linnéenne, le genre et l’espèce, la référence au Species plantarum de Linné ou à d’autres ouvrages, et quelques éléments de description en latin. En guise de corrections ou de compléments, Rousseau laisse quant à lui une trentaine d'annotations sur les étiquettes de Fusée-Aublet et sur les papiers de fixation. Elles concernent systématiquement des graminées, nombreuses dans cette collection, confirmant l’intérêt marqué de Rousseau pour ce groupe.
Contenus dans l’herbier, certains spécimens de Guyane sont susceptibles d’avoir servi de base aux descriptions et aux gravures de l’Histoire des plantes de la Guiane françoise que Fusée-Aublet publie en 1775. À ce titre, la collection du Muséum (P-JJR) mérite d’être mise en relation avec d’autres collections de Fusée-Aublet, en particulier les diagnoses manuscrites conservées au Muséum de Paris (Ms 579 et 580), les dessins préparatoires des plantes de la Guyane réunis au National History Museum de Londres (Ms 58 à 61) et au Muséum de Paris (Ms 454), et les spécimens de Fusée-Aublet conservés au British Museum. Piero Delprete (2015) s’est appuyé sur l’herbier du Muséum pour typifier vingt-six genres et cinquante-trois espèces de Rubiacées décrits par Fusée-Aublet dans son ouvrage.
Au sein des collections de Rousseau, nous trouvons aussi des parts d’herbier isolées de Fusée-Aublet dans les collections de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel (plus de 200), au Musée Jean-Jacques Rousseau de Montmorency, à l’Abbaye de Chaalis, à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras et vraisemblablement dans l’herbier disparu du Musée botanique de Berlin.
Histoire
Faute d’indices dans la correspondance de Rousseau ou de témoignages directs, nous ignorons les circonstances dans lesquelles le philosophe reçoit, consulte et annote à la fin de sa vie des spécimens issus des collections de Fusée-Aublet (qui décède deux mois avant Rousseau) (Cook 2002). L’hypothèse la plus communément admise est que le médecin Achille-Guillaume Le Bègue de Presle (1735-1807), qui connaissait les deux hommes, aurait servi d’intermédiaire, à moins que Rousseau et Fusée-Aublet ne se soient tout simplement fréquentés dans les années 1770 au Jardin royal des plantes de Paris.
Quoi qu’il en soit, les plantes qui deviendront l’herbier Rousseau du Muséum comptent très vraisemblablement parmi celles que la famille de Girardin conserve à Ermenonville, après la mort de Rousseau en 1778. René-Louis de Girardin (1735-1808) aurait détaché cet ensemble homogène du reste des herbiers de Rousseau pour le confier à Thérèse Levasseur (1721-1801), veuve du philosophe, qui l’aurait elle-même transmise à Le Bègue de Presle. On cherche à établir son authenticité dès 1822, date à laquelle un certain Charles Perronneau s’occupe de la vendre (Lanjouw, Uittien 1940). L’année suivante, dans son édition de La Botanique de J. J. Rousseau, Albéric Deville (1774-1832) évoque un herbier « d’environ quinze cents feuilles, format in-4° » (1823, p. 318) qui vient d’être mis en vente au Musée européen de Paris.
Beaucoup plus tard, à la fin du siècle, on retrouve cette collection à Orléans. La description matérielle qu’en donne un certain Aurélien dans le Journal du Loiret (77e année, no 146, 23 juin 1894) ne laisse aucun doute : il s’agit du futur herbier Rousseau du Muséum. Cet herbier est une nouvelle fois mis en vente en 1895, au Musée historique d’Orléans, par la famille de Bengy qui affirme l’avoir hérité de la famille Duhamel du Monceau (Lanjouw, Uittien 1940). D’après le catalogue de vente, une lettre du marquis Stanislas-Charles de Girardin (1828-1910), arrière-petit-fils de René-Louis, atteste l’authenticité du lot (L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, vol. 31, 10 mai 1895, col. 491-492). Cependant, la collection ne trouve pas d’acquéreur, puisque la famille de Bengy souhaite toujours la vendre en 1899. Cette année-là, le grainetier Henri Denaiffe (1863-1948) prend des renseignements sur l’herbier qu’il achète bientôt et qu’il emporte à Carignan dans les Ardennes.
À cette époque, la collection de quinze cartons-volumes passe pour avoir été composée par Rousseau à Ermenonville. Cependant, le docteur Bertemès, qui l’étudie dans les années 1930, suggère qu’elle contient des spécimens de Fusée-Aublet, observation bientôt confirmée par les botanistes Joseph Lanjouw et Hendrik Uittien (1940). L’herbier est caché pendant la guerre et acheté par le Laboratoire de phanérogamie du Muséum en 1953.
Botanique
[En préparation.]
Numérisation et données
L’herbier a été numérisé en 2014 par l’entreprise Azentis Technology. Le Muséum l’a ensuite mis en ligne sur la plateforme e-Recolnat (https://explore.recolnat.org, consulté le 11 août 2023), avec pour chaque spécimen un jeu de données comprenant le code-barres numérique, le genre et le binôme linnéen tel qu’ils apparaissent sur les étiquettes.
Ce travail a été repris et complété par nos soins pour le présent site web. Toutes les données relatives aux contenants, supports, spécimens et annotations ont été saisies.