L’herbier du Musée des Arts décoratifs de Paris a la particularité de constituer ce que Rousseau appelle un « moussier », c’est-à-dire une collection de mousses et des lichens. Parmi les 367 spécimens recensés, il contient également quelques algues et plantes à fleurs. Formant un petit volume de feuilles reliées, il comporte de nombreuses annotations de Rousseau, complétées ou corrigées par une main inconnue.
La collection
Protégé par reliure artisanale en carton et papier brun, et proche du format in-douze, le volume de soixante-huit folios (plus des pages de garde) est glissé dans un étui en maroquin bleu du XIXe siècle. Sur fond de maroquin rouge, la tranche de l’étui porte en lettres dorées le titre « Herbier de J.J. Rousseau ». À l’intérieur du volume, cinquante-deux folios sont numérotés et quatorze sont entièrement vides.
À l’exception du fo [68] vo, où des échantillons d’orchidées sont collés sur le papier, les mousses, lichens et algues sont fixés par des bandelettes de papier doré sur les pages de droite. Ils se succèdent apparemment sans logique de classement. Marc Philippe (2021) estime probable que la plupart d’entre eux proviennent de la région lyonnaise et datent du séjour de Rousseau à Monquin (1769-1771). En regard des spécimens, les pages de gauche contiennent des annotations qui rassemblent, en général, les noms latins des plantes et une marque de renvoi à l’encre rouge ou noire. Celle-ci permet d’identifier les échantillons correspondants. Plus rarement, les annotations sont complétées par un commentaire en français ou en latin, relatif aux caractères de l’espèce ou aux lieux où Rousseau l’a récoltée ou observée. Aux annotations attribuables à Rousseau se joignent d’autres annotations à l’encre dont l’origine demeure inconnue et qui visent à entériner, compléter ou corriger les déterminations du philosophe. Certaines pages du volume portent un timbre rouge « Musée des Arts décoratifs » avec la précision : « Legs du C.te de Rambuteau » (voir ci-après).
Deux documents plus tardifs sont conservés avec l’herbier. Probablement de la main du comte de Philibert Lombard de Buffières de Rambuteau (1838-1912), le premier présente brièvement l’herbier et son acquisition au début du XXe siècle. Daté du 21 janvier 1910, le second document provient de l’expert en autographes Noël Charavay (1861-1932) qui certifie que les annotations sont de la main de Rousseau.
Histoire
Dans son parcours botanique, Rousseau se consacre aux mousses de façon précoce : l’étude de ce groupe lui procure déjà du plaisir en 1767 (Correpondance complète, éd. Leigh, CC 5695). Relevant ce goût pour les mousses, Alexandra Cook l’interprète dans le cadre plus large de l’intérêt que porte Rousseau à la botanique non florale et aux classifications non linnéennes (Cook 2012, p. 199-204). Avec Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), notamment, Rousseau échange de « vieilles mousses » (CC 6913) ; son ami se réjouit de recevoir de lui un « très joli Moussier » (CC 6916) au tournant de l’année 1772. Ce « joli » ou « petit Moussier » (CC 6933) est parfois regardé comme l’herbier du Musée des Arts décoratifs de Paris. Avec prudence, Takuya Kobayashi émet par exemple cette hypothèse dans son édition des Écrits botaniques de Rousseau, estimant que celui-ci a donné à Malesherbes son moussier personnel, commencé en 1769 (éd. Kobayashi 2012, p. 119-120). Dans un article en préparation, Marc Philippe décrit attentivement l’herbier du Musée des Arts décoratifs et propose à son tour un bilan détaillé des hypothèses relatives aux origines et aux fonctions de cette petite collection. Notons la présence, sur une languette de papier en forme de marque-page, d’une annotation volante « Borrago orientalis » qui pourrait provenir de Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778). Quoique peu fiable, cet indice suggérerait que l’herbier est ultérieur aux échanges avec Malesherbes.
Après la mort de Rousseau, des témoins directs ou indirects mentionnent des moussiers composés par Rousseau. Dès 1789, Pierre Prevost évoque le « Moussier » de Rousseau « de format in-12 » qu’il regarde comme « un petit chef-d’œuvre d’élégance » (Prevost 1789, p. 30b). Quelques années plus tard, après la mort de Malesherbes, l’inventaire de son herbier inclut « un petit porte feuille in-12 de carton recouvert en parchemin blanc » qui contient « quelques Cryptogames peu interessantes » (Paris, Archives nationales, AN F171336, fo 2 ro), collection qu’il est difficile d’identifier au futur herbier du Musée des Arts décoratifs. En revanche, Albéric Deville (1774-1832) compte parmi les herbiers offerts par Rousseau à Malesherbes un herbier de format in-octavo qui « ne renferme que des Cryptogames » (Deville 1823, p. 317). Peut-être s’agit-il du futur herbier du Musée des Arts décoratifs.
Quoi qu’il en soit, la collection que nous connaissons aujourd’hui émerge de façon certaine dans diverses sources du début du XXe siècle. Nous savons que, en décembre 1909, l’antiquaire berlinois Martin Breslauer (1871-1940) le présente à la Gesellschaft der Bibliophilen de Berlin (Biedermann 1909-1910, p. XXVI) et qu’un certain Leclerc l’achète un mois plus tard, transaction à l’occasion de laquelle on fait authentifier l’écriture de Rousseau (voir les deux documents conservés avec l’herbier, présentés ci-dessus). Avant de mourir en 1912, le comte de Rambuteau acquiert l’herbier qu’il lègue cette année-là au Musée des Arts décoratifs de Paris.
Quelques images du moussier sont pour la première fois reproduites par Bernard Gagnebin dans son édition des Lettres sur botanique de Rousseau en 1962 (voir Hocquette 1963, p. 20) et le volume est exposé à la fin de l’année à la Bibliothèque nationale de France, dans le cadre de la commémoration du 250e anniversaire de la naissance de Rousseau. Il est de nouveau exposé au Musée des Arts décoratifs en 1978, pour l’anniversaire de la mort de Rousseau.
Botanique
Comme nous l'avons souligné, le moussier diffère des autres herbiers de Rousseau par la disposition systématique des spécimens de mousses (Bryophytes) et de Lichens sur les pages de droite, en regard des annotations sur les pages de gauche. Après une expertise conduite par Marc Philippe, le moussier compte 330 spécimens de Bryophytes appartenant à 71 espèces différentes, 22 spécimens de Lichen, 1 spécimen de Fougère et 11 spécimens d’Angiospermes (une espèce de Lentille d’eau (Lemna trisulca) et les fleurs de dix spécimens de la famille des Orchidées qui sont placées à la fin du document).
La plupart des Bryophytes sont représentées par plusieurs spécimens (il y a, par exemple, une quinzaine de spécimens de Dicranum scoparium placés par petits groupes sur différentes pages). Les Bryophytes ont généralement été récoltées avec leurs sporophytes. Montées avec soin, elles sont en bon état de conservation.
Numérisation et données
L’herbier est numérisé en 2008 par le Musée des Arts décoratifs de Paris : ce sont les images que nous présentons ici. L’année suivante, Guy Ducourthial propose une transcription des annotations dans son ouvrage sur La Botanique selon Jean-Jacques Rousseau (Ducourthial 2009, p. 396-400).
Sur le présent site, nous avons saisi toutes les données relatives aux contenants, supports, spécimens et annotations. Par souci de simplification, nous considérons comme des annotations uniques les textes qui contiennent à la fois une note de Rousseau et une remarque du scripteur non identifié. Le cas échéant, nous attribuons l’annotation à Rousseau et précisons « correction d’un tiers ».